2010-07-27-Liberation

Libération 2010-07-27.

Décès. Le saxophoniste neérlandais, virtuose du free jazz, a été emporté par un cancer à 65 ans.

Willem Breuker, souffle militant brisé.

Par Dominique Queillé.
‘II était Ie Duke Ellington de la free music’, s’exclame Armand Meignan, directeur de l’Europa Jazz du Mans, dont il fut l’un des invités les plus fréquents. Programme pour l’édition 2007, Willem Breuker avait laissé son Kollektief, qu’il menait depuis une trentaine d’années, parler pour lui, alors qu’il avait dû déclarer forfait à cause d’une intervention pour greffe du foie. Cette opération réussie, avait d’ailleurs pu reprendre, l’an dernier, des activités quasi normales, et rediriger son orchestre. Emporté par un cancer du poumon diagnostiqué il y a quelques mois, Willem Breuker s’est éteint a 65 ans vendredi dernier a Amster- dam, sa ville natale.

Déambulations.
Né Ie 4 novembre 1944, Ie saxophoniste hollandais, un des pères de la free music, a bien connu Ie festival manceau voué, dans sa genèse, au jazz européen de facçon assez radicale. II y fut l’invité en 1982 de l’indétrônable Regional Tour, qui lui fit sillonner les Pays de la Loire pour douze concerts.

‘Capable de tout jouer, c’était à la fois un grand compositeur et un musicien hors pair, dont la musique ne se dissociait pas de son passé militant’, poursuit Armand Meignan, joint par téléphone dans sa retraîte estivale du Mercantour. ‘Il était aussi I’un des rares à toujours se poser la question du public. Quoi qu’il fasse, il fallait que Ie public Ie reçoive.’

De mémoire de Mœrs et autres festivals agitateurs des turbulentes années 70, en Allemagne comme en France, certains ont garde en tête ses facétieuses interventions. Daniel Michard, l’un des équipiers du festival de Massy, séminale manifestation de la banlieue sud parisienne dédiée a la cause libertaire, se souvient de ses toutes premières venues: ‘A cette époque, ses concerts etaient toujours très visuels, que ce soit en clubs comme Ie Totem, à la Mutualité ou encore sur les scènes de festivals comme Massy. C’était la danse du serpent, des déambulations incroyables parmi Ie public. Il faisait littéralement exploser ses impros.’

Breuker était de ces personnages à part dans l’histoire de la musique. Hors modes, tout sauf show-business. Son parcours, marqué par son engagement social, avait commencé dans la rue et les usines. Une dimension politique qui a dominé son œuvre, tout à fait originale, qui se situe entre la tradition jazz américaine, Ie nouvel élan européen survenu au milieu des années 60, et des influences Kurt Weill.

Curieux insatiable, il écoutait aussi bien John Kirby, bassiste des années 30, que les compositeurs contemporains Boulez ou Varèse.

En 1967, il fut à l’origine, avec Ie batteur Han Bennink et Ie pianiste Misha Mengelberg, de l’Instant Composer Pool autour des ‘développements contemporains de I’improvisation instrumentale’. Avant de fonder son Kollektief et son label, BVHaast.

Emotion.
Gérard Terronès, fondateur des Disques Futura et Marge, qui programma Ie saxophoniste dans divers lieux et fut son compagnon de route en France durant dix-huit ans, fait part de son émotion: ‘Je suis effondré d’apprendre Ie décès de ce combattant ami de longue date, disparition qui représente une grande perte pour tous ses admirateurs, mais aussi pour Ie jazz et toutes les musiques improvisées actuelles’, écrit Ie producteur independant.

Concluant: ‘Il fut un des pères des musiques improvisées européennes, vers Ie milieu des années 60, un créateur et un agitateur musical tres inventif, virtuose et plein d’humour. Il manifesta une indépendance certaine dans la jungle des . jazz. Et il mit en pratique son choix de fonctionnement politiquement autonome, en dénonçant dans ses œuvres toutes les injustices et misères du monde, mais aussi par l’autogestion et la gestion directe de son Kollektief comme de son label, BVHaast.

Willem Breuker (au premier plan) et son Kollektief, en 1986.
Photo Guy le Querrec. Magnum.